Pendant des décennies, la transmission des exploitations de père en fils a suffi à assurer le renouvellement des générations en agriculture, mais aujourd’hui la démographie, la désertification des zones rurales et les enfants d’agriculteurs qui choisissent d’autres métiers obligent la profession à repenser l’installation pour maintenir suffisamment de fermes à taille humaine sur le territoire.
Nous avons réalisé un travail de fond sur un territoire qui représente 15 % de la Charente : sur 900 exploitants, 500 devront partir à la retraite dans les 10 ans à venir. Or, on prévoit sur le territoire observé un peu plus de 100 installations pour les dix prochaines années, soit 400 agriculteurs qui ne seront pas remplacés », explique Martial Pouzet, conseiller transmission à la CDA de Charente, lors de la table-ronde sur la transmission organisée par l’APCA le 22 novembre. A quelques pourcents près, ces chiffres peuvent être étendus à la France entière, pour des raisons qui ne se cantonnent pas au vieillissement de la population. Pour Régis Jacobé, de la CCMSA, 45 % des affiliés au régime agricole « sont potentiellement concernés par une transmission aujourd’hui même », mais beaucoup ne le font pas, découragés par la faiblesse des retraites, ou par la difficulté de transmettre leur patrimoine. L’aspect psychologique est en effet important : « la sortie était plus facile quand on était dans le cadre familial : on restait actif même à la retraite. Là, dans certains cas, l’agriculteur doit aussi abandonner sa maison d’habitation, ça fait beaucoup de choses à gérer », souligne Régis Jacobé. D’où la tendance à repousser la décision le plus tard possible, alors que la transmission doit être anticipée, dans l’idéal, dix ans avant. « Quand on choisit un fermier, c’est pire que d’embaucher un collaborateur. On choisit quelqu’un avec qui on va faire un partenariat pendant une longue durée, qu’on ne licenciera pas, qu’on verra quasiment tous les jours… », témoigne Guy Vasseur qui finit de transmettre son exploitation le 1er décembre et officiait pour la dernière fois en tant que président de l’APCA.
Installation contre agrandissement
D’où l’importance d’anticiper, et de permettre aussi à son exploitation d’être transmissible. « Nous, on veut des exploitations qui soient viables, vivables et transmissibles », rappelle Pierre-Marie Vouillot, de JA. Il importe donc également de conserver des exploitations à taille humaine. « Dès l’installation, il faut garder à l’esprit que son exploitation, il faudra la transmettre. Or plus elle est grande, plus les capitaux à investir pour la reprendre seront importants », souligne le jeune agriculteur. Malheureusement, « la concurrence entre installation et agrandissement est aujourd’hui à un niveau que l’on n’a jamais connu », alerte Emmanuel Hyest, président de la FNSafer. « Avant, on reprenait la parcelle d’un voisin. Maintenant, c’est une exploitation qui reprend une autre exploitation, souvent une exploitation moderne, rentable, qui permettrait justement d’installer un jeune », poursuit-il. Or aujourd’hui, le modèle installation/ transmission permet la création de richesse, en assurant un maillage du territoire. Quand un agriculteur arrête, il faut considérer plus largement les conséquences sur les outils de production des autres ( impact sur les coopératives, les outils de collecte… ) mais aussi sur l’économie des territoires ruraux. « En Charente, les agriculteurs représentent 25 % des entreprises », explique Martial Pouzet, mais le départ d’un agriculteur inquiète toujours moins les élus qu’un commerce qui ferme, car ses conséquences sont moins visibles. Et pourtant, les conditions de vie moins attractives de la ruralité rendent encore plus difficile l’installation de jeunes.
Nouveaux défis
Raymond Vial, président de la CDA de la Loire, résume la situation : face à ces nouveaux défis, « à nous de relever les manches et très fortement ! ». Pour lui, il faut de plus faire face à « un nouveau phénomène sociétal : on a des agriculteurs qui arrêtent à 40-45 ans », découragés par les revenus insuffisants et les conditions d’astreinte du métier, une situation qui arrivait beaucoup plus rarement quand l’essentiel des transmissions se faisait dans le cadre familial. Les organisations agricoles doivent s’y préparer, et renforcer leurs actions autour de la transmission. « Il faut que les agriculteurs s’informent fortement, et il faut que nous, nous soyons plus réceptifs », ajoute-t-il. Certains départements organisent ainsi des Fermes dating, où des cédants peuvent rencontrer des agriculteurs intéressés par la reprise, une opération qui remporte beaucoup de succès. Pour Guy Vasseur, la profession ne pourra pas non plus faire l’impasse d’une révision du statut du fermage. D’autres pistes de solutions pourront peut-être être trouvées en collaboration avec d’autres secteurs, le commerce et l’artisanat devant faire face à une problématique similaire.